Bonjour
Je sais que ça va être difficile à croire mais j'ai été pris en otage...
Cette nuit même, 1h du matin, trop chaud, je me réveille. Pas moyen de me rendormir alors je me lève et décide d'aller pianoter un peu sur le web, consulter mes emails au profit du peu de monde à cette heure tardive. Je regarde par la fenêtre: pas d'étoiles donc nuages ! le vent sifflote un peu mais rien de bien méchant. J'ouvre la porte de mon bâtiment pour tâter la température : agréable avec un bon 10°C, donc une petite polaire fera l'affaire. Dehors à la lueur des éclairages une bruine légère se fait deviner. Le vent pousse de petites rafales qui déjà m'interdisent de marcher droit. Si quelqu'un surprend ma virée nocturne je vais être catalogué comme buvant en cachette, lol.
200 mètres à peine séparent ma chambrée au poste Internet de la base. Quelque chose me dit intuitivement que les conditions météo vont se dégrader, je vois les nuages éclairés par une timide pleine lune défiler à toute allure ! Pas bon signe, mais je suis parti et je n'en ai que pour 15 minutes à tout casser!
Je m'installe sur le poste, la boite s'ouvre et c'est parti pour les échanges, dans un silence religieux ! Au bout de quelques minutes mon attention est attirée vers l'extérieur ! Un sifflement strident, les murs qui craquent et un bruissement à peine perceptible, la pluie !. Je m'interrompt, pousse la porte extérieure et là stupeur, en moins de 10 minutes le temps s'est totalement déglingué. Je décide d'attendre la fin de ce "coup de tabac" en supposant qu'il partira aussi rapidement qu'il est venu. 10 minutes de plus et je commence à m'inquièter, c'est désormais une véritable tempête tropicale, comme à la réunion. On se croirait en période cyclonique.
Le souffle du vent est devenu un mugissement continu, la pluie, de bruine elle est devenue battante et tombe à l'horizontale, signe d'un vent violent. Je devine à travers les éclairages extérieurs la puissance du vent en voyant des panaches d'eau déchirer la toiture des bâtiments. Je réfléchis un instant, un rapide calcul, 200 mètres ça n'est rien, je les fais en courant et je me recouche ! Mais rien à faire, le vent est totalement contraire à ma trajectoire, pleine face je vais donc ramasser un maximum.
J'estime les rafales à 60/ 70 nœuds ! A cette vitesse et vu les trombes d'eau il est impossible de marcher de front et donc de rallier mon cher bâtiment, malgré la faible distance. Avec de tels souffles la pluie te cingle le visage, comme si tu faisais de la moto sans casque et sans visière = impossible de regarder droit devant soi, tu es obligé de baisser les yeux, donc tu ne peux avancer, d'autant plus qu'avec de telles rafales tu fais un pas en avant, et deux en arrière !
De plus la pluie battante occulte toute possibilité de vision, donc pas d'éclairage sur un chemin caillouteux (certaines pierres font 15 cms de diamètre) et irrégulier ce qui suppose un risque de chute certain. Je me résigne, et j'en profite pour rédiger ce post en attendant une accalmie. J'entends les tôles de la toiture vibrer, la pluie nettoyer tout aux alentours, mes oreilles se bouchent et se débouchent alternativement, signe de la fureur des éléments.
Il est coutumier de voir de telles démonstration de puissance de la part de mère nature sous ces latitudes, après tout il faut bien tenir le mythe des 50ème hurlants et 40 ème rugissants et ses rafales records à 320 km/h.
Mais là, je me suis fait "planter" par la rapidité de cette dégradation inattendue. Tout s'est joué en l'espace de 15 minutes. J'imagine très bien ce que doivent subir mes camarades partis en manipes, certains en petites maisonnettes de bois, chichement rivées au sol par 4 énormes élingues en acier qui les empêchent de s'envoler.
Ouhlala, un énorme bruit métallique dehors, en direct ! je regarde furtivement par la fenêtre mais l'obscurité et la pluie m'empêchent de distinguer quoi que ce soit. Une grosse plaque métallique à du être arrachée d'un bâtiment, raison de plus pour rester à l'abri !
J'en profite pour décrire les véhicules de Kerguelen. Comme tous les véhicules ils sont équipés de ceintures de sécurité. Jusque là rien de particulier ! A part que les ceintures sont modifiées et utilisées pour retenir les portes ! Eh oui, tu "enjambes" ta ceinture lorsque tu montes dans un véhicule ! Il y a un garage ici, avec un carrossier, et il à fort à faire. Dans tous les véhicules sont "imprimés" des messages de rappel, du type "pensez à retenir la porte quand vous l'ouvrez". Et là c'est comique parce qu'avec les misérables poignées d'origine, qu'est-ce que tu veux retenir ? Quand elle n'est pas littéralement arrachée !
Tu imagines ? Tu es sur l'autoroute, et tu décides d'ouvrir en grand ta portière ! impossible pas vrai ? la pression du vent t'empêche cette folie. Eh bien ici non seulement tu "dois" ouvrir ta portière, mais en plus tu "dois" empêcher qu'elle ne soit arrachée, oui je n'exagère pas ! Une portière de voiture standard n'est pas prévue pour résister à de telles puissances, et si tu te rates, s'en est fini, tu reste avec la poignée de porte dans la main, et la porte est perdue, dégondée, les tôles arrachées. Et là tu te dis "eeeehhh meeerde ". Ton véhicule sera indisponible, le temps que le carrossier tente une vaine réparation.
Les ceintures de sécurité modifiées et fixées aux portières limites les dégâts quand tu te fais surprendre, mais parfois, même les fixations sautent ! Au début je me faisais avoir, je me garais n'importe comment. Maintenant j'ai pris le coup et me gare dans le sens du vent. Certes, tu en baves pour ouvrir, mais au moins tu pérennise ton bien. Une fois j'ai été surpris, le vent à subitement tourné, aussi la porte s'est explosée et impossible de la refermer malgré plusieurs essais, il y aurait fallu être à plusieurs tant la prise au vent était importante. Aussi suis-je reparti, en désespoir de cause, la porte "ouverte"...
Punaise, je suis réellement pris en otage là ! Ca fait plus d'une heure que j'attend vainement et ça ne se calme pas. 200 mètres qu'est-ce que c'est ? rien quand on est derrière un écran. Mais sur le terrain, c'est la folie ! Pas question de prendre le moindre risque, il faut être raisonnable. ici les erreurs ne pardonnent pas. Certes il y a bien un "SAMU", mais c'est de la médecine d'urgence, uniquement pour limiter la casse. Si c'est trop grave c'est le rapatriement sanitaire, au grès des bateaux de passage. Donc soi bateau de pêche, soit bateaux de surveillance de la pêche (militaires). Autrement dit, un passage hypothétique toutes les 3 semaines.
Au plus rapide c'est un départ depuis la réunion, avec quand même 8 à 10 jours de mer, suivant la disponibilité des bateaux et bien sûr les conditions météo. Donc pas question de plaisanter avec la sécurité. Demain il y a un bateau de pêche qui vient pour une urgence = crise cardiaque à bord". Avec le vent de cette nuit ils vont bien déguster= rafales monstrueuses, pluie battante, et bien sur les creux qui vont avec. pour ma part j'adore les sensations fortes, j'adore la mer, les tempêtes. Mais c'est ici que j'ai failli être malade pour la 1ère fois de ma vie.
Pour rallier les différentes îles autour de la base de Port aux Français, il existe un chaland. C'est une espèce de barge motorisée, donc à fond plat, utilisée pour le transport de matériel lourd (jusqu'à 30 tonnes) et adaptée pour la circulation en mer avec des creux maxi de 1 m et un vent maxi de 35 nœuds. Si tu respectes les consignes, tu ne sors jamais, donc pas de déplacements donc pas de missions scientifiques, donc pas de rapatriements. C'est probablement pour cela qu'ils font venir des purs marins bretons = pour braver les éléments.
Je me souviens d'une sortie épique au retour d'une manipe sur l'île verte ! Des rafales de 50 nœuds (presque 100 km/h), et des creux de 1,5 m. Et pas en tangage, en roulis ! Impressionnant. J'ai filmé ces instants de folie, on dirait que les images sont trafiquées tellement ça balance. Le chaland doit se prendre quelque chose comme 30° d'inclinaison de part et d'autre de l'horizon. Et ça cognait, et ça cognait ! Chaque vague était un coup de butoir, le tout assorti d'un lavage systématique jusqu'en haut des antennes. Au début j'étais fin excité, vivre de telles conditions extrêmes, mais j'ai assez vite déchanté. Mes compagnons de voyage étaient malades depuis presque le début, déjeuner renvoyé, teint blême, bref ça donnait pas envie d'expérimenter leur mal être. Puis j'ai senti à un moment que me jambes se dérobaient, des sueurs froides, le visage qui changeait, l'estomac qui se retourne, je me suis dit "ça y est, ça va être ma fête". Alors j'ai respiré l'air frais comme j'ai pu, en ayant soin de bien me tenir pour ne pas être emporté par les vagues qui fouettaient notre frêle embarcation, comme un jouet dans une baignoire !
Je n'exagère rien, bien au contraire, mes mots sont trop pauvres pour décrire la réalité. Quand je dis être à l'instant présent "pris en otage", je l'affirme, et ça n'est pas (que) pour le plaisir que je pianote en vous racontant ces anecdotes, mais bel et bien pour me tenir éveillé en attendant que ça se calme... Tu le crois toi, un bâtiment en béton qui vibre ? Pourtant c'est ce que je vis en cet instant, et puis les tympans qui se bouchent, se débouchent, ce hurlement dehors, cette pluie...
Pfiouuu, mais faut être dingue pour venir ici! lol pourtant j'adore cet endroit... je dois être sado maso, ou quelque chose de ce genre. A mon avis, avec du recul, les tests psychologiques ne doivent pas être pour sélectionner les gens bien dans leur tête mais au contraire des espèces de fous furieux comme moi, lol . héhéhé, et ça n'est que le début, paraît qu'en plein hiver les conditions sont géniales pour les fous.
Un "estivant" m'a raconté l'une de ses dernières missions hivernales (il est guéri lui au moins). Une nuit d'hiver, une tempête de neige, quasiment impossible de fermer l'œil tellement ça tapait partout. Le matin le réveil sonne, il ouvre le rideau et il voit "rien", mais alors rien du tout ! hihihi, il se frotte les yeux, les rouvre mais rien n'y fait, il ne voit rien dehors. Intrigué, il se dirige dans le couloir, allume les éclairages, ouvre la porte donnant sur l'extérieur, et là stupeur "un mur de neige". Durant cette fameuse nuit, plus d'un mètre cinquante de neige est tombée. La journée de travail va être vite vue, ça va être rodage du manche de pelle à neige toute la journée...
Bon, il est 4 h, ça fait 3 heures que je suis bloqué pour 200 malheureux petits mètres et dehors ça ne s'est pas calmé... que faire ? je tente une sortie ? armé de lunettes bricolées et de sacs poubelle autour du corps ? ouaaah, de mieux en mieux, voilà qu'il pleut dans le bâtiment, génial, mais pourquoi donc ais-je quitté mon lit ? Au moins je serais douillettement au chaud, contemplant les murs se balançant au rythme des rafales (véridique).
Là non plus je ne plaisante pas. Un soir, je lisais allongé sur mon lit, le vent était déchainé, le dos bien allongé, l'ouvrage à bout de bras et j'ai eu une drôle d'impression ! il me semblait que quelque chose bougeait. Je pose le livre, regarde plus intensément les murs et le plafond et oui, imperceptiblement, les angles se transformaient, de 90° ils passaient à 88 ou 92 ! Plus d'angle droit dis donc, tu le crois ça aussi ?
Ouiiiin, je veux dormir ! au chaud sous ma couette !!! mdrrr
Sylvain
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Mar 1 Mai - 7:23